Jacqueline Neplaz-Bouvet
raconte l'arrestation de son père Marius Bouvet.
(le 16 février 2006 au Savoie Léman)
L'arrestation de Marius BOUVET (Récit rédigé par sa fille Mme Jacqueline NEPLAZ-BOUVET)
Jouvernex, commune de Margencel.
7 ans. L'occupation allemande et la collaboration. Nous, les enfants, dans cette atmosphère que nous percevons grave, nous sommes propulsés dans le monde des adultes. Tôt. Trop tôt. Dans la cour de l'école, séparée de la boulangerie par la route, avec les autres enfants, je joue. Je me vois encore jeter un coup d'œil au grenier. Là, je sais qu'il y a un " résistant " caché, " Jacques. Il est lyonnais. Il compte les carnets de pain… Je sais, mais ne rien dire. Surtout ne rien dire…
Hier soir, " Jean Soleillant " sur notre terrasse a pris une coquille d'escargot, et, dans la nuit, il a imité le cri de la chouette. Le lendemain, à la boulangerie, une voisine interroge ma mère : " vous avez entendu ? - oui, bien sûr, la chouette ". Ne rien dire. Etre complice. C'est un secret , il faut le garder. J'étais dans le camp des "grands".
Le 9 février 1944, c'est un tout autre bruit. Le claquement des portières de voiture a masqué le bruit familier de la fontaine. Des miliciens en sont sortis. " Rentrez ou on tire ! ". La milice venait d'arrêter mon père, Marius Bouvet, boulanger, communiste, responsable politique, et notre ouvrier boulanger, André Grépillat, 19 ans , de Maxilly. Ma mère nous fait nous retirer de la fenêtre. J'ai eu le temps de les voir, avec leur béret noir de sinistre mémoire. " C'est fini… " a-t-elle dit, sans illusion sur le sort d'André et de mon père.
Nous ne les avons jamais revus. Ils ont été conduits à la grange Allard, poste de commandement de la milice. De là, emmenés à l'intendance à annecy. Torturés à coups de nerfs de bœuf. Mon père dans un billet disait : " ils sont durs pour moi, mais je résiste. Je suis courageux. Soyez-le aussi ".
Le 26 février 1944, il était fusillé au Savoie-Léman avec 5 de ses compagnons dont André Grépillat, sans avoir parlé.
Le curé, venu annoncer la nouvelle ce jour-là, a pu dire à ma mère : " Votre mari sera à la droite de Dieu ".
Hommage d'un croyant à un incroyant.
Marius BOUVET
Biographie de Marius BOUVET
Né à Margencel le 31 mai 1902, il est marqué par la mort de son frère Adolphe, tué sur le front en 1914. Il ne devait jamais oublier les initiales que son père, alors maire de la commune, fait graver sur la tombe de son aîné : G.A.L.G. (Guerre à la Guerre, mot d'ordre de Jean Jaurès). Marius part travailler à Lyon, avant de revenir à Margencel et il retrouve son métier de boulanger. Marius est le "premier des premiers" pour réorganiser le P.C.F. interdit dans le Chablais.
En 1941, il cache Rudolph et Maria Wascher et leurs enfants, résistants communistes allemands pourchassés. Il s'occupe des jeunes réfractaires au S.T.O. et devient l'adjoint de Maurice Flandin-Granget.
Résistant sédentaire, il reçoit l'état-major F.T.P., organise des parachutages avec Alexandre Néplaz et Frank Boujard*, participe à l'attaque du train allemand à Margencel le 1" octobre 1943, organise le passage en Suisse de Jean et Paulette Peccoud du réseau Buckmaster, sert de boîte aux lettres aux réseaux Gilbert* par l'intermédiaire d'André Allombert...
Le 9 février 1944, il est arrêté avec son ouvrier André Grépillat, alors qu'ils sont en route pour attaquer le repaire milicien de la Grange Allard* à Allinges et doivent retrouver d'autres maquisards dans un bois à proximité dont Marius Béchevet. Torturé, transféré à l'intendance à Annecy par les miliciens, il est ramené au SavoieLéman* à Thonon, P.C. de la Milice et des G.M.R. depuis février 1944.
Condamné à mort par la cour martiale avec 5 autres patriotes le 25 février 1944, il est fusillé le 26 février à l'aube. Il avait trois enfants.
Acte de décès de Marius Bouvet